Le dernier Yasmina Khadra vaut-il le coup?

Coeur-d'amande par Khadra

Il s’agit de mon premier contact avec l’œuvre de cet écrivain. Cœur-d’amande est le trente-quatrième roman publié sous ce pseudonyme, son trente-septième au total. Ce livre m’avait été présenté et recommandé au cours d’un café littéraire auquel j’assiste assidûment depuis quelques mois.

La bibliothécaire en avait dit, comme toujours, juste assez pour aiguiser ma curiosité, et pas trop pour ne pas divulguer des éléments clé de l’intrigue.

Je me suis donc plongé dans la lecture sans a priori, mais avec la ferme intention de passer un bon moment aux côtés de Nestor, de sa grand-mère et de ses copains de la butte Montmartre.

La première chose qui m’a frappé est la prose de Yasmina Khadra, qui coule, mélodieuse, sans accroc. Une jolie découverte. On sent que l’auteur s’amuse encore, malgré tous les livres déjà produits, et qu’il a atteint une maîtrise du langage digne des plus grands. Les personnages sont attachants. Nestor en premier lieu, un nain rejeté par ses parents, déscolarisé très tôt et élevé par sa grand-mère à coup de grands classiques de la littérature. La relation avec sa grand-mère, qui perd doucement mais sûrement la tête, est retranscrite tout en délicatesse.

La solidarité qui unit le quartier, où tout le monde se serre les coudes dans l’adversité sans distinction d’origine, même si légèrement caricaturale, est bien rendue malgré tout. Il faut reconnaître à l’auteur le joli travail d’équilibriste qui permet de multiplier les personnages secondaires, en leur donnant à chacun une caractéristique reconnaissable, sans qu’aucun ne vienne empiéter sur l’intrigue principale.

Sur l’ambiance et le style, rien à redire donc, juste à savourer et à se laisser porter par l’écriture évocatrice de Khadra jusqu’à la moitié de l’ouvrage. C’est après que ça se gâte. Oui, maintenant que le décor est bien planté, que la situation de Nestor est suffisamment critique pour le forcer à sortir de sa zone de confort – sa grand-mère est internée contre son avis, il a perdu son gagne-pain dans une boutique de chaussures – c’est l’intrigue qui doit prendre le pas et nous porter jusqu’au déroulement final. Et c’est là que la mécanique pourtant bien huilée s’enraye.

Les premiers toussotements arrivent avec l’apparition dans le tableau de Léon, ce provincial à la santé fragile, secouru par Nestor un soir où, de passage sur Paris, il avait été dépouillé et se retrouvait sans endroit pour passer la nuit, sans argent pour acheter le billet de train du retour. Léon, qui, soit dit en passant, occupe une bonne partie de la seconde moitié du roman, mais dont je n’ai compris que vers la toute fin – manque de concentration de ma part, qui ne m’a pas permis de deviner avant, ou bien étourderie de la part de l’auteur ? – que celui-ci était atteint du même handicap que Nestor. Il arrive fréquemment que l’auteur visualise tellement bien un personnage ou l’enchaînement, logique pour lui, de péripéties, qu’il oublie de mentionner un point crucial à ses lecteurs. C’est alors à ses relecteurs ou en dernier recours à l’éditeur de relever ces incohérences. Toujours est-il que la relation entre ce Nestor et Léon n’apporte pas selon moi grand-chose à l’histoire, et le choix d’éloigner l’action de Montmartre, là où se trouvent tous les personnages auxquels on s’était attaché, n’est pas payant à mon sens.

Mais là où mon moteur de lecteur a franchement calé, c’est sur la facilité dans laquelle tombe Khadra pour que son héros s’en tire par le haut.

  • Le trentenaire commence à écrire son histoire – il s’agit de son premier texte, il n’a jamais rien écrit d’autre qu’une liste de courses auparavant – à Paris, puis s’exile en Provence pour achever le manuscrit. Vous le voyez arriver gros comme une maison ? Vous aussi vous vous dites « non, il a dû trouver quelque chose de plus subtil » ? Eh bien non, désolé, Khadra est faillible. Nestor a écrit un chef-d’œuvre, la première maison d’édition contactée dit « banco », s’ensuivent une vie trépidante à passer d’un salon du livre à l’autre, dans toute l’Europe, la notoriété, l’argent… Soit Khadra est depuis trop longtemps dans le circuit pour avoir oublié à quoi ressemble la course d’obstacles que représente la publication d’un premier roman, soit c’est juste de la publicité éhontément mensongère pour la carrière d’écrivain.

    Bien dommage, car ça m’a réellement gâché la deuxième moitié du livre. Est-ce parce que je suis moi-même en plein processus de recherche d’éditeur que cela m’a autant gêné ? Possible. Je ne vous livre ici que mon ressenti.

Ah si, un dernier point qui m’a étonné : la relation conflictuelle de Nestor avec sa mère, qui portait à mon avis un potentiel romanesque intéressant, aurait mérité d’être revisitée à l’aune du succès médiatique du néo-romancier.

Je sors donc de cette lecture à la fois tiraillé entre le désir de retrouver cette plume en allant chercher ses ouvrages précédents, et la peur de me faire avoir à nouveau… « Fool me once, shame on you ; fool me twice, shame on me », comme dit ma femme.

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